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Étude historique

par Christian Corvisier, Historien de l'architecture

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Détail de la carte topographique des environs de Montereau, 1742

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Détail du plan d'Intendance Bertier de Sauvigny,

vers 1787

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Détail du plan cadastral napoléonien,

vers 1825

Introduction

 

L'histoire médiévale du territoire d'Egligny est complexe et embrouillée par les contradictions existant dans les travaux d'historiens, au premier rang desquels, au XIXe siècle, l'érudit  François-Antoine Delettre, qui, en retraite de son mandat de maire de Donnemarie,  composa son Histoire de la province du Montois, publiée en 1850, en exploitant des milliers de documents originaux tirés de différents fonds d'archives locaux ou régionaux (1). La méthode de cet historien local n'est pas sans reproche : son ouvrage est dépourvu de références aux sources qu'il exploite, et compose avec un point de vue "romantique" des réalités de l'aménagement des territoires au Moyen-Âge. La vision de Delettre sur les châteaux du Montois est anachronique et irréaliste : il décrit une série de "forts", supposés fondés au haut Moyen-âge dans les vallées de l'Auxence (surnommée aujourd'hui "Vieille Seine")  et de la Seine, à l'image d'une ligne de défense concertée comparable à  celles des fortifications frontières de l'époque moderne. À partir d'une réalité historique : l'abondance des fiefs seigneuriaux, souvent de modeste importance, et à partir de réalités concrètes : la présence de différents petits châteaux d'époque diverses (2), correspondant à certains de ces anciens fiefs, l'historien du Montois  reconstitue un réseau serré mais hypothétique de châteaux forts médiévaux, sans tenir compte du fait que beaucoup de petits fiefs ne comportaient que des terres, sans maison seigneuriale, et que la réalité ordinaire de ceux qui en possédaient une, n'était pas un château puissamment fortifié, mais un manoir rural ou une modeste maison forte défendue pas des fossés.

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Ainsi la description de la topographie médiévale du village d'Égligny  proposée par cet historien, jamais renouvelée depuis (3), est à considérer avec circonspection. Rien ne prouve qu'il ait existé deux châteaux forts  contigus au village, correspondant aux deux seigneuries de la Motte St-Florentin et d'Égligny ; on note qu'aucun document ou charte authentique, notamment ceux relatifs aux fiefs du comté de Champagne et de Brie aux XIIIe et XIVe siècles, ne fait état d'un château (castrum) à Égligny. De plus, on note  le fait qu'après les dévastations perpétrées par une bande de routiers lors de la guerre de Cent Ans, en 1353, les religieux de Preuilly firent établir en 1355 à Égligny en bordure de la rivière, un ouvrage de fortification entouré d'eau, avec tourelles et guérites, au lieu dit La Pescherie, avec l'autorisation de Charles V et l'appui de Simon de Jouy, capitaine de Provins, retranchement défensif dont l'abbé tenait lieu de capitaine, avec permission d'y entretenir des gens d'armes et de pied, et dans lequel  les gens du pays, astreints à une contribution au guet, pouvaient trouver refuge. Cette fortification empiétait sur le domaine d'un des deux seigneurs laïcs, soit une saussaie, et sur ses droits de pêcherie, empiètement que le seigneur, Philippe de Savoisy, abandonna en 1376 aux religieux sans contrepartie (4). Il est évident que s'il avait existé alors deux châteaux forts à Égligny, ils auraient été sollicités et réquisitionnés pour le même usage d'intérêt collectif et de refuge, épargnant aux religieux l'effort de création d'un ouvrage de fortification neuf.


L'auteur de l'Histoire de la province du Montois, avance par ailleurs que la chapelle du château du fief de la Motte, avait été implantée sur l'emplacement du clocher de l'église actuelle, ce qui est une pure conjecture, au demeurant invraisemblable. L'assertion selon laquelle Égligny ne fut érigée en paroisse et en cure qu'en 1354 est elle-même sujette à caution et doit être nuancée, dans la mesure où une charte du cartulaire de l'abbaye de  Preuilly, datée de  1122, fait déjà état d'une paroisse d'Égligny. La date de 1354 pourrait correspondre à une  refondation à la suite des déprédations de la guerre de Cent-Ans, ou d'une érection définitive en cure indépendante de celle de Vimpelles. De plus l'église actuelle Saint-Martin et Saint-Félicien d'Égligny, comporte un choeur gothique à chevet plat du début du XIIIe siècle, un portail occidental de la même époque ou du dernier tiers du XIIe siècle, et un clocher porche construit après coup en avant du portail, qui, lui, pourrait dater d'après 1354. Que les seigneurs d'Égligny et du fief de la Motte Saint-Florentin aient fondé (chacun?), à partir de  la seconde moitié du XIVe siècle, une chapelle funéraire collatérale cette église est, par ailleurs, très plausible, l'usage étant courant, mais la localisation de ces deux chapelles aujourd'hui disparues de part et d'autre du porche sous le clocher, parait pour le moins inhabituelle.


Quoiqu'il en soit, l'église est aujourd'hui le seul édifice du village d'Égligny (si l'on excepte l'abbaye de Preuilly), qui remonte sûrement à l'époque médiévale, et conserve des élévations du XIIe-XIIIe siècle. On ne peut en aucun cas en dire autant du château, dont les plus anciens éléments conservés, difficilement datables, pourraient ne pas être antérieurs à la fin du XVIe siècle. Pour autant, l'histoire de la seigneurie laïque d'Égligny (Preuilly étant une seigneurie ecclésiastique), y compris le fief de la Motte Saint-Florentin, rend tout à fait plausible l'existence, dès le XIIIe siècle, d'une maison-forte ou d'un manoir servant de résidence au seigneur d'Égligny, peut-être à l'emplacement du château actuel, à l'est du village, et d'une autre, vraisemblablement  limitée à un modeste manoir rural,  à l'usage des détenteurs du fief de la Motte, qui se serait située à l'emplacement de l'actuelle ferme de La Borde (anciennement dite La Borde Saint-Florentin), immédiatement à l'ouest / sud-ouest du village. Le terme employé dans les textes du XVe siècle qui le signalent  le qualifient d'"hostel", soit une maison noble non fortifiée.

 

Les seigneurs d'Égligny et leur château


Premiers seigneurs
C'est à un seigneur d'Égligny nommé Holdevin, et à son épouse Richelde, que son suzerain le comte de Champagne Thibaut Le Grand, joint à sa mère Adèle, achetèrent les terres nécessaires à la fondation de  l'abbaye de Preuilly en 1118, pour permettre l'établissement des religieux cisterciens. Par cette transaction, le premier seigneur connu d'Égligny réduisait notablement l'assise territoriale de son fief.

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A la fin du XIIe siècle Geoffroy d'Égligny, dit l'Eventé, apparait comme bienfaiteur de la commanderie des templiers de Provins ; parti en Terre Sainte en mai 1190, il leur fit don d'un quart du bois de la Fontaine Saint-Ours. Revenu sur ses terres, il approuvait en juin 1218 une autre libéralité en nature à l'égard des templiers, faite par son fils Pierre, chevalier d'Égligny, sur le domaine de Maulny, au Melz-sur-Seine, ou était la "grange" de la commanderie (5). Geoffroy vivait encore en 1239. D'après Delettre, Pierre d'Égligny aurait, après cette date,  cédé ses dîmes seigneuriales  sur Égligny à l'abbaye de Preuilly, qui de ce fait devenait gros décimateur de la paroisse, ce qui imposait la prise en charge des travaux sur le choeur de l'église. Le même Pierre est encore cité en 1251 comme bienfaiteur d'une abbaye cistercienne de femmes, celle de Notre-Dame près de Sens (6).  


Par la suite, la trace des chevaliers d'Égligny se perd, et il faut attendre le dernier tiers du XIVe siècle pour retrouver mentions de seigneurs, avec une situation féodale particulière : la seigneurie, soit  la justice et les droits féodaux d'Égligny, est divisée en deux parts inégales. La plus grosse,  représentant les 7 / 8eme,  n'a pas d'autre appellation qu'Égligny, et appartient alors  à Philibert de Saulx (+1418), archidiacre de Beaune et chanoine de Notre-Dame de Paris, frère de Jean de Saulx, secrétaire du duc de Bourgogne, chancelier de Bourgogne. Le chanoine se défit de ce domaine de rapport en le vendant par acte du 26 janvier 1402 à Alexandre Le Boursier, Receveur des Aides, avant d'être nommé évêque de Chalons-sur-Saône (1409) et de finir sa carrière de prélat comme évêque d'Amiens (1416).


La petite part de la seigneurie d'Égligny, soit le 8eme, consistait en un  fief avec maison seigneuriale dit de la Motte Saint-Florentin, possédé en 1376 (on l'a vu à propos de la fortification de la Pêcherie, par Philippe de Savoisy (7) seigneur de Seignelay (+1398), autre membre d'une famille distinguée du duché de Bourgogne, diocèse de Langres ; homme de confiance des rois de France, compagnon de captivité de Jean Le Bon en Angleterre, il fur capitaine du château royal de Melun, concierge du palais royal de Paris (1358), puis conseiller et chambellan de Charles V, pour finir maître d'hôtel de la reine Isabeau de Bavière.  


Il est possible que ces parts du domaine seigneurial d'Égligny aient été auparavant en deshérence et aient été données par le roi en gratification à des personnages bien en cour, pour les revenus qu'ils procuraient, ces personnages n'ayant nulle intention d'y résider, du fait de leurs fonctions et de leurs autres biens et domaines, plus importants et éloignés.


Quoiqu'il en soit, le fief de la Motte Saint-Florentin entra en possession de la branche cadette des vicomtes de Melun, par le mariage, en 1387, d'Isabelle de Savoisy, fille cadette de Philippe de Savoisy, avec Jean de Melun dit "Le Brun", chevalier, seigneur de La Borde le Vicomte et en partie de la vicomté de Melun, conseiller et chambellan de Charles VI. C'est leur cinquième fils, Louis (II) de Melun, successivement écuyer de Charles d'Anjou, échanson de la duchesse d'Anjou, capitaine ce coulommiers, qui au partage entre les cinq enfants  du couple, le 6 juin 1447, hérita de la huitième part  la terre d'Esgligny sur Seine au pays de Brie, avec le fief voisin de Chantecler.  De Catherine de Caillac, Louis de Melun  eut un fils naturel, Jehan de Melun, légitimé en février 1437, et institué son héritier par son père par testament du 24 février 1467. Finalement, c'est Antoine de Melun,  fils légitime de Louis et  auteur de la branche des Melun, seigneurs du Buignon et de Brumetz, plus tard vicomtes de Melun,  qui fut saisi, avant 1472 de la succession de Louis de Melun, au détriment de Jehan, à qui il put imposer le délaissement de la moitié par indivis des fiefs et seigneuries de la Motte-Saint-Florentin et Chantecler. Par transaction du 15 février 1481, Jehan céda tous ses droits sur Égligny et Chantecler à Antoine, moyennant 80 écus d'or. Le 19 novembre 1486 Antoine de Melun, marié en 1482 à Anne ou Agnès de Noyen,  céda  les seigneuries de La Motte Saint-Florentin, vulgairement appelée La Borde, sise à Esgligny-sur-Seine, et de Chantecler, à son beau-père Gilles de Noyen, chevalier, conseiller et chambellan du roi ; en échange des seigneuries de la Louptière les Bordes et de Vaurenier, près de Traînel en Champagne (8).


La seigneurie principale d'Égligny  aux XVe et XVIe siècle de la famille Gaudète aux Chalmaison


Le sort de la principale partie de la seigneurie d'Égligny, peut être retracé avec le même degré de précision. Elle appartint dès lors, à la différence de l'autre part,  pour l'essentiel à des membres de la petite aristocratie de robe, de noblesse récente,  installée à Paris, qui, à partir du dernier tiers du XVe siècle, semblent avoir  voulu  se constituer à Égligny un domaine seigneurial où faire souche, avec une maison forte  seigneuriale, dont le château actuel est le dernier avatar.


L'acquéreur de 1402, Alexandre Le Boursier, Receveur général  des Aides ordonnées pour la guerre,  transmis ce bien en partage à ses fils Girard et Jean Le Boursier, dont  Jeanne et Perette, filles de l'un et nièce de l'autre, furent héritières. Elles vendirent par acte du 24 mai 1476 leurs sept parts de la seigneurie d'Égligny, avec droits de toutes justices,  à Jean Gaudète (ou Gaudette), conseiller du Roi au parlement de Paris (9). Intéressé dès avant  cette vente par le domaine d'Égligny, Jean Gaudète, tenta  d'usurper la haute justice sur le huitième de la seigneurie appartenant aux Melun, en l'absence d'Antoine de Melun, parti  en campagne militaire en Italie dans la compagnie d'ordonnance du roi commandée par Charles d'Amboise, seigneur de Chaumont, représenté localement par un certain Simon Loré, dit Nivelet, receveur et procureur d'Antoine de Melun , pour ses terres et hostels de la Motte Saint-Florentin, dis La Borde, situés à Esgligny sur Seine, et de Chantecler près de Vimpelles. Jean Gaudète, se prétendant seul seigneur haut justicier d'Égligny,  composa avec le procureur et obtint, en 1477, des lettres de souffrance pour jouir desdites terres et hostels, jusqu'au retour dudit Antoine (10).


Jean Gaudète était  le fils de Jean des Ursières, dit Gaudète, membre d'une famille de notables  de Montpellier, fondateur d'une branche installée à Paris avant 1450. À cette date, ledit Jean des Ursières avait  fondé une chapelle située sous les charniers du cimetière de Saint-Paul à Paris, dont la dédicace fut  faite par Guillaume Chartier, évêque de Paris, le 21 aout 1450. L'épitaphe qui s'y trouvait donnait les qualités du fondateur : conseiller et controlleur de la chambre des deniers de feue très noble, très bénigne et très excellente dame Marie d'Anjou, reine de France, natif de Mézillon en Puisaye (...) lequel décéda en ceste paroisse en son hostel le 21e jour de janvier 1470 (...) Cette épitaphe était complétée par celle de son épouse : aussy noble femme Marie Dourdine, seconde et dernière femme dudit Gaudète, laquelle trespassa le 10e avril  l'an 1482 (...) et par celle de leur fils, seigneur d'Égligny par l'achat de 1476 : Semblablement noble homme Jehan Gaudète, fils desd  Gaudète et Marie Dourdine, lequel a fondé en ceste chapelle deux meses à chascune semaine (...) et trespassa en la ville de Montpellier le 16e jour d'apvril  l'an 1499 après pasques (11).  La soeur de ce dernier, Raouline Gaudette, veuve de noble homme Jean Turquin, examinateur au Châtelet de Paris, seigneur de Courcelles en Brie, avait son épithaphe dans la même chapelle, indiquant qu'elle trespassa en cette paroisse en son hostel le 13 janvier 1518. Les Armoiries des Gaudète : d'azur à trois boutons de rose d'or posés deux et un, figurent présentes sur les fragments de l'épitaphe retrouvés en fouille en 1902. Jean Gaudète, seigneur d'Égligny, était, depuis une date antérieure à 1471, trésorier des guerres de Charles, duc de Guyenne , frère de Louis XI (12) ;   le 27 mai 1490, il attribua à la chapelle fondée au cimetière de l'église Saint Paul à Paris par son père, 7  livres tournois  de rente pour fonder trois obits (13). Il était également seigneur en partie de de Bry sur Marne, comme le prouvent plusieurs actes  mentionnant aussi Égligny, de 1486 à 1496 (14). En 1497, il est dit seigneur d'Égligny sur Seine et de la Maillarde faisant partie de la seigneurie de Longperrier à Chennevières et Bry-sur-Marne (15). Son frère Henri Gaudète, bourgeois de Tours, est à la même époque seigneur du fief de Longperrier à Bry.


En 1500, Marguerite Pastoureau (ou Pastourelle),  dame d'Égligny-sur-Seine, veuve de Jean Gaudète (16),  tutrice de leurs enfants mineurs, et son fils majeur également nommé Jean Gaudète, échangeaient une maison à Paris, rue des Fauconniers, contre une autre, rue du Figuier, à l'image de Saint-Jean, avec  Jean Bertrand,  grainetier de Sens, par l'intermédiaire de leur procureur Antoine Pineau (17). Résidant ordinairement à Paris, les Gaudète avaient assurément un "hôtel" seigneurial  à Égligny, à l'emplacement du château actuel, mais aucune mention ne permet de préciser cette donnée.  


On ignore également si les fiefs de la Motte-Saint-Florentin et Chantecler, constituant la huitième part de la terre et justice d'Égligny, avaient été rachetés par Jean Gaudette à Gilles de Noyen ou à ses héritiers,  mais on observe qu'il n'est désormais plus question, dans les actes, que d'une seigneurie d'Égligny, tenue par les Gaudète et leurs successeurs. La Motte-Saint-Florentin, sous-ensemble de la seigneurie, et non relevant d'une autre mouvance, n'est pas mentionnée nommément au nombre des fiefs revendiqués par ces famille. Cela ne prouve en rien qu'ils ne le possédaient pas, car les documents authentiques conservés des XVIe et XVIIe siècle, rares, ne comportent pas d'hommage ou d'aveu et dénombrement, et ne sont, par conséquent, pas d'une précision suffisante pour faire apparaître le nom des fiefs secondaires. Le nom de ces fiefs reparaît dans les actes du XVIIIe siècle conservés aux Archives Nationales, beaucoup plus détaillés, sans mention de rachat récent.


Quoiqu'il en soit, la terre d'Égligny, récemment augmentée du fief de Bourbitou-Beaulieu, relevant féodalement des seigneuries d'Abloy et de Sigy, fut vendue dans des circonstances inconnues, vers le milieu du XVIe siècle,  par les Gaudède, à François de Chalmaison, écuyer de la petite noblesse du Montois. En effet,  un arrêt du parlement du 13 juillet 1565 condamnant quelques seigneurs du Montois à se soumettre à la juridiction du baillage de Bray, qualifie François de Chalmaison, au nombre de ceux-ci, de  seigneur d'Égligny et Bourbitou (18)

 
Des guerres de Religion aux Méliand d'Égligny


De novembre 1580 à janvier  1581, lors d'un épisode des guerres de Religion qui défraya la chronique du Montois, le château seigneurial d'Égligny aurait joué un rôle défensif forcé, à en croire la relation que  Delettre  donne, en 1850, de ces évènements. Pour plus d'exactitude, il convient de se reporte aux mémoires de Claude Haton, prêtre de Provins ligueur contemporain et partie-prenante des faits, source unique sur cet épisode, concernant les exactions des troupes d'un des chefs de compagnie de mercenaires recrutés par le duc d'Anjou, un nommé Virelois, fils d'un tavernier de Nogent, qui se faisait nommer le capitaine Beaulieu, seigneur de Fay.  Une ou deux de ces compagnies, qui  pillaient et rançonnaient les hôtes de passage avec grosse chère et dépense excessives, dans tous les villages d'entre les rivières de Seine et d'Yonne, se replièrent dedans le chasteau ou maison forte d'Égligny-lez-Chastenay. Le Bailli de Provins, M. de Potières, recruta le ban à Provins le 30 novembre pour aller à Chastenay et Égligny prendre prisonniers ou tailler en pièces les soldats voleurs qui s'estoient retirez au chasteau desdits  lieux, mais arrivés sur place,  après sommation de se rendre, le bailli vint à composition et laissa partir la compagnie sans coup férir ayant, insinue Haton, été acheté par lesditz capitaine et soldatz (19). La version donnée par Delettre en 1850 exagère la dimension militaire de l'évènement, parlant d'un "château-fort", disant que les soldats y tenaient garnison et s'y étaient fortifiés, sous entendant qu'ils n'auraient pu être délogés sans artillerie. Dans la réalité, assiégeants et assiégés n'étaient que des hommes de pied, armés au mieux d'arquebuses d'épaule, et le château n'était qu'une maison-forte capable au mieux d'une défense passive, soutenue de tirs d'armes légères à courte portée. Les termes de Haton sont ambigus, citant à la fois Égligny et Châtenay, ne mentionnant pas le seigneur local, mais on peut admettre qu'il s'agissait bien d'Égligny, et de la maison forte qui a précédé le château actuel, non de l'ancien "hostel" du fief de la Motte Saint-Florentin.  


En 1608 Mathieu de Chalmaison, écuyer, seigneur d'Égligny, est mentionné dans un acte de procédure  concernant son épouse séparée,  Marie de Bonnefoy, dame du Prey. C'est certainement à cette date précise, voire un peu avant, que la seigneurie d'Égligny fut vendue à un nouveau lignage qui y fit souche, la Famille Méliand, venue du Berry. Blaise Méliand, premier de sa lignée à porter le titre de seigneur d'Égligny, n'en profita pas longtemps, car il mourut le 27 mars 1610 à Paris et fut inhumé à St-Jean-en-Grève, où sa famille avait un banc. Il avait été trésorier de France à Bourges, conseiller notaire et secrétaire du Roi maison et couronne de France (1585), secrétaire du conseil d'État  (1586). De son mariage à Geneviève Vivien (+1636 inhumée à St-Jean en-Grève), veuve d'un correcteur à la Chambre des Comptes, vinrent cinq  fils et deux filles.  L'aîné, Blaise (II) Méliand (c. 1585-1661) hérita de la seigneurie d'Égligny, et s'intitulait seigneur de La Borde (= La Motte Saint-Florentin ?), Bréviandes, et Céton ; conseiller au parlement en 1609, président en la cinquième chambre des enquêtes au parlement en  1632, conseiller du roi en ses conseils, il assura dans ce cadre des ambassades en Suisse et à Venise en 1635, 1640 et 1641, promu alors conseiller d'État, il termina sa carrière  procureur général au parlement de Paris, en 1641, en remplacement de Mathieu Molé. Il possédait  une maison à Paris rue du Vieux Colombier et avait épousé, le 26 octobre 1614 Geneviève Hurault, fille de Jean Hurault, conseiller au Parlement de Paris, maitre des requêtes, et de Marguerite Bourdin, fille de Gille Bourdin, procureur général au Parlement de Paris (20). Veuf, il s'était remarié le 8 octobre  1641 à Louise Gontaut, dame de Bezanleu, dont il n'eut pas de descendance.


Nicolas Méliand (1625-1659), quatrième fils de Blaise (II) Méliand, fut conseiller au grand conseil (1650), maître des requêtes ordinaires  (1651). Survivant à ses frères, morts  prématurément sans postérité (dont l'aîné, Jean Méliand, seigneur de Glini, mort le 27 juillet 1641, d'après le nécrologe de Saint-Jean-en-Grève),  il  avait épousé   le 27 juillet 1653 Marguerite Bossuet (morte en 1716), fille de François Bossuet, seigneur de Villers, baron de Marly le châtel, secrétaire du Conseil, et cousine du grand Bossuet, évêque de Meaux. Nicolas Méliand  héritait en théorie d'Égligny et La Borde, mais il mourut deux ans avant son père, laissant cet héritage  à sa postérité, en l'occurrence une fille unique. Son frère cadet Claude Méliand, (1634-1696), sixième né de la fratrie, également maître des requêtes, grand rapporteur à la chancellerie de France, fut seigneur de Bréviande et de La Fournaise, sans droits sur Égligny.


Le château d'Égligny reconstruit au début du XVIIe siècle


On doit sans doute attribuer à ces nouveaux seigneurs d'Égligny, hommes de robe, plus particulièrement Blaise Méliand père et fils, la reconstruction de la maison-forte d'Égligny sous l'apparence d'un petit château "à la française" plus conforme aux modes architecturales du temps d'Henri IV et de Louis XIII, combinant brique et pierre. Sans doute tributaire des fondations, voire des fossés de l'édifice antérieur, définissant une plate-forme quadrangulaire encore flanquée de tourelles, en cette période intermédiaire entre la Ligue et la Fronde, il était sans doute équipé quelques meurtrières en fente courte ou en oeilleton,  adaptées au mousquet.  À quelques kilomètres d'Égligny,  sur la rive  gauche de la Seine, un château du même style montre encore des restes moins remaniés par la suite, il s'agit du château de Villeceaux à Jaulnes, seigneurie acquis en 1577 par Thomas d'Elbène (francisation de Del Bene), gouverneur de Pise en Toscane, venu faire souche en France. Le château fut construit tant pour lui que pour son gendre, neveu et successeur Pierre d'Elbene, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, sur la base d'une plate-forme de plan carré entourée de fossés, flanquée de tourelles circulaires aux quatre angles, avec mousquetières. Il comportait un long corps principal symétrique encadré de deux tourelles et deux courtes ailes en pavillon faisant retour d'équerre symétrique sur la cour. Un château d'un modèle analogue, mais plus luxueux, celui de Graville, anciennement Tournanfy, près de Champagne-sur- Seine, très restauré au XIXe siècle, avait été construit dans la décennie 1580 pour Charles de Balsac d'Entragues, favori d'Henri III. 

 

Le château  d'Égligny, plus petit sur sa plate-forme rectangulaire et moins régulier que Villeceaux ou Graville, n'est connu dans  son état avant remaniements du XVIIIe siècle que par un plan sommaire intégré dans une carte topographique de la région de Montereau établie en 1742. Il ne comportait, autant qu'on puisse en juger, qu'une aile résidentielle (à laquelle se limite le château actuel) sur le côté gauche de la cour, et une aile irrégulière en fond de cour, sur laquelle on ne sait à peu près rien, sinon qu'elle abritait une cuisine. Il n'y avait de tourelles d'angle qu'au front d'entrée (ouest).  


Cet état de 1742 n'est probablement pas représentatif du projet du début du XVIIe siècle, l'importance des remaniements subis par le château d'Égligny aux XVIIIe et XIXe siècle ne permettant aucune certitude sur le plan d'intention initial, qu'il ait été abouti ou non. On peut toutefois tenter une réflexion sur ce qu'a pu être ce plan d'intention, éclairé par la comparaison avec Villeceaux . Le château actuel d'Égligny, ancienne aile nord du  quadrilatère fossoyé du XVIIe siècle, se compose de deux corps inégaux ; l'un, à l'Est, jadis vers le fond de cour à gauche, de 4 travées de fenêtres, moins long et plus haut que l'autre sous planchers et sous toiture, forme un corps de logis ramassé dont la 4eme travée  Est, par sa saillie sur les façades, prend l'aspect d'un pavillon étroit. Ce corps de logis semble remonter au XVIIe siècle, mais a été très retouché au XVIIIe siècle,  avec ses hautes fenêtres dont l'encadrement en briques à arcs segmentaires forme des jambages verticaux continus soulignant les travées. L'autre partie, située dans le prolongement vers l'ouest, est une aile plus basse longue de 5 travées de fenêtres encadrées en briques,  irrégulièrement espacées. Son extrémité ou petit côté ouest, côté de l'entrée de la cour (aujourd'hui occupée par un pavillon du XIXe siècle), était apparemment  flanquée de deux tourelles, une à l'angle nord-ouest de l'ensemble (toujours en place), l'autre à l'autre angle du bâtiment (documentée seulement par  le plan de 1742). Il est vraisemblable que la partie "corps de logis" du château actuel avait été conçue à l'origine comme un retour d'équerre à gauche d'un grand corps de logis initialement prévu en fond de cour, côté Est, peut-être jamais achevé, d'où la réduction du corps de logis définitif à cette portion de 5 travées, qui fut régularisée au XVIIIe siècle, en supprimant les départs de l'aile Est. La partie "aile" du château actuel, aurait été construite dans un second temps jusqu'à la tourelle d'angle nord-ouest, qui pouvait être primitivement isolée, comme celle du sud-ouest.   


On entrait dans la cour du château au milieu du  grand côté ouest, face au village, par un pont dormant franchissant le fossé. Devant cette entrée et devant tout le côté ouest du château, une sorte d'avant-cour  faisait dégagement, refermée sur le village par un mur de clôture. Ce mur se retournait à angle droit au nord, dans l'alignement  du côté nord du château, jusqu'au fossé de celui-ci. De ce côté nord régnait le jardin clos, retranché aussi du château par son fossé nord, que franchissait une passerelle.  D'après le plan de 1742, ce jardin d'agrément, peu étendu, était un parterre avec croisement de deux allées sur un rond-point central occupé par une fontaine. L'accès général du château et de son parc clos de mur se faisait par une grande avenue plantée d'arbres d'axe nord-sud, venant du nord et passant entre le jardin clos et le village ; elle allait jusqu'à la rue principale du village, que l'on pouvait aborder en tournant à droite, et aboutissait, en face, à un portail ménagé dans le retour du mur de clôture du domaine, portail donnant accès à l'avant-cour, dans laquelle l'avenue se continuait,  desservant à gauche le pont d'entrée du château. La continuation intra-muros de l'axe de l'avenue aboutissait à un pont cavalier à tablier de charpente traversant "Vieille Seine". Ce pont remontait sans doute au XVIIe siècle,  il existe toujours, mais son tablier de bois a été refait en ciment au XXe siècle. La culée de ce pont, côté avant-cour du château, était surmontée d'un porche couvert en pierre dont restent les soubassements, et qui permettait de fermer, par un vantail ou une grille, la partie antérieure du parc, autour du château, de son développement ouest, boisé, avec allées cavalières, entre Seine et Vieille Seine. Au sud du château, un petit jardin de plan carré, régnant entre le fossé et la Vieille Seine, figuré en 1742 avec quatre carrés, devait être le potager, sans doute délimité par un muret bas.


Des Cherrière aux Turpin de Crissé, le XVIIIe siècle


Marguerite Méliand (c. 1654-1745), fille de Nicolas Méliand, héritière d'Égligny, apporta cette terre  à son mari Claude Cherrière, dit aussi de Chèrière  (1635-1710), qui augmenta notablement  l'assiette foncière de ce domaine en achetant les seigneuries voisines  de Vimpelles (en 1682) et de Gravon ( en 1686). Payeur des gages de la Chambre des Comptes, maître des comptes,  maître des requêtes, puis conseiller d'État, il mourut le 29 octobre 1710 à Égligny, à l'âge de 75 ans ;  il était alors qualifié de seigneur des fiefs d'Égligny, La Borde et La Motte-Saint-Florentin (dont le toponyme réapparait alors dans les actes), qui lui  procuraient un revenu de 4000 livres, d'après l'arrière-ban du baillage de Provins. Jacques Cherrière, issu d'un premier mariage de Claude Cherrière, reçu maître ordinaire en la Chambre des Comptes de Paris le 2 juillet 1678, fut gratifié par son père de la seigneurie de Gravon, après l'achat de celle-ci (21). Cette seigneurie fut toutefois réunie (après sa mort ?) à celle d'Égligny pour doter sa demi-soeur,  fille de Claude Cherrière et de Marguerite Méliand, Marie-Claude-Geneviève Cherrière d’Égligny (1682-1731). Celle-ci apporta Égligny et Gravon à la famille Turpin de Crissé, branche de Sanzay,  d'origine angevine, par son mariage,  le 14 novembre 1712, avec  Lancelot (II) Turpin de Crissé (1669-1720), comte de Sanzay, colonel du régiment d'infanterie de Sanzay, aide de camp du duc de Bourgogne, brigadier des armées du Roi en 1704.


Marguerite Méliand, dame d'Égligny, morte le 4 septembre 1745, à 90 ans passés, avait survécu quatorze  ans à sa fille Marie-Claude-Geneviève Cherière. L'inventaire après décès portant sur ses effets qui étaient en la terre d' Égligny fut fait par le bailli de Blay le 29 octobre 1745, et le partage de la succession entre ses héritiers et petits-enfants Turpin de Crissé ne fut réglé que le 18 décembre 1746. Cette succession comportait la terre et seigneurie d'Égligny, château, fermes, droits rentes, revenus, circonstances et dépendances, sans exceptions, qui produisaient 3200 livres, tant pour ce qui était affermé que pour ce qui ne l'était pas. La valeur contante était estimée à 80.000 livres. Elle comportait aussi une maison à Paris quai d'Anjou, sur l'île Notre Dame paroisse St Louis, louée à M. Nonette conseiller au Parlement, d'une valeur de 60.000 livres, et diverses rentes, à hauteur de 140.000 livres. La plus grande partie des meubles de la succession de Marguerite Méliand, tant à Paris qu'à Égligny, fut vendue.
                                                         

La seigneurie d'Égligny ne passa  pas directement à Lancelot (III) Turpin de Crissé (1716-1793), par ailleurs héritier des biens ancestraux de la famille Turpin de Crissé de Sanzay, mais, en 1746, servit à doter sa soeur aînée  Anne-Marie Turpin de Crissé de Sanzay (1714-1748), dame d'honneur de Mme la duchesse de Chartres,  épouse de Joseph de Simiane, marquis d'Esparron. Elle hérita aussi de la moitié de la maison du quai d'Anjou. Elle  ne devait jouir que deux ans de cet héritage, qui, à sa mort, fut transféré à son frère. Lancelot (III) Turpin, marquis de Crissé, comte de Sanzay, baron d'Ingrandes, seigneur d'Égligny en 1748, fit d'abord une carrière militaire, participant, lors de la guerre de 1745 à 1748 au siège de Philipsburg et aux batailles de Fontenoy et Raucourt. Il fut marié deux fois, d'abord, en 1749  à Louise-Marie de Lezay-Lusignan  (1729-1755), dont il eut deux fils, puis en 1759, à Constance de Lowendal (1740-1785), la fille du maréchal de France (1747) d'origine danoise Woldemar de Lowendal. Cette seconde épouse portait le titre de comtesse du saint Empire, accordé à son père avec transmission héréditaire en 1741 par le roi de Pologne Auguste III.  


En 1749, Lancelot Turpin de Crissé  baillait à ferme l'ancien château de Gravon, et habitait volontiers celui d'Égligny. À partir des années 1770-1780, son épouse, férue de lettres, amie et éditrice de l'abbé de Voisenon, romancier et auteur dramatique, réunissait régulièrement  au château d'Égligny une société d'hommes de lettres et d'esprit d'inégales notoriétés, autour d'un salon littéraire auquel participaient, outre Voisenon, des représentants de la jeune génération littéraire, dont le poète créole Evariste de Parny, le romancier et dramaturge Pigault-Lebrun, mais aussi des amateurs venus en voisins : les Turgot, de Châtenay-sur-Seine,  les Trudaine, de Montigny-Lencoup, ou  l'abbé Cottereau, curé de Donnemarie (22).


La refonte du château, du parc et de l'avenue vers 1775-1785


C'est à cette période de fréquentation distinguée de la terre d'Égligny, que les époux  Turpin de Crissé transformèrent et modernisèrent considérablement leur château. Faute de sources archivistiques directes et explicites sur ces travaux, faute de plans détaillés ou de dessins de l'époque, il faut, pour les évaluer, comparer le plan-masse d'état des lieux donné par la  carte topographique de la région de Montereau  dessinée en 1742 par l'arpenteur Nicolas Matis, et celui figurant sur le plan d'intendance de la paroisse d'Égligny, établi dans les années 1785-1787 avec ceux des autres paroisses de la généralité de Paris, sous l'autorité de l'Intendant Bertier de Sauvigny (1737-1789). On en tire les constats suivants : Les fossés du château furent comblés, l'entrée de la cour par l'ouest, du côté du village supprimée, ainsi que la tourelle d'angle sud-ouest de l'ancienne plate-forme fossoyée. L'aile de fond de cour, à l'est,  qui abritait notamment la cuisine, peut-être aussi la chapelle domestique, fut démolie, le château s'en trouvant réduit à son aile nord, soit le corps de logis suivi de l'aile plus basse, en conservant la tourelle d'angle nord-ouest, et la seconde tourelle ouest. La suppression de l'aile est imposa la recomposition de la façade sud du logis à laquelle cette aile se raccordait, les fenêtres actuelles en quatre travées régulières de cette façade, et sans doute celles, identiques, de la façade opposée, sont donc le produit de ces travaux de 1775-1785. La cour  du château, desservant les portes d'entrées principales du corps de logis et de l'aile en prolongement, restait du côté sud de l'édifice, face au parc, devant cette façade recomposée du corps de logis, mais cette cour n'était plus délimitée par des fossés, ni même par des murs ou murets.  


L'emplacement du jardin ou  parterre d'agrément, au nord du château, et la partie non forestière du parc, à l'est du château, furent assez largement agrandis du côté nord et nord ouest, aux dépens d'anciens prés. Ces espaces gagnés au nord et inclus dans la nouvelle clôture extérieure, reçurent  au nord du château un nouveau jardin plus spacieux,  sans doute le potager, remplaçant l'ancien qui, plus petit,  était auparavant au sud du château. entre ce jardin et la façade nord du château, soit à l'emplacement du fossé nord et d'une partie de l'ancien jardin d'agrément, fut réservée une petite cour de service ou basse cour, non explicitement exprimée sur le plan d'Intendance, parce que non encore formellement séparée des jardins par un mur.  L'ancienne avenue d'accès rectiligne, bordée d'arbres, d'axe nord-sud abordant le château depuis le nord, passant entre jardin et village, fut supprimée et transférée une quarantaine de mètres plus à l'est de son emplacement primitif,  qui fut inclus dans le périmètre clos du nouveau jardin. La nouvelle avenue à double rangée d'arbres, partant de plus loin que l'ancienne au nord, adoptait un axe nord-sud  passant désormais à l'est du château, à peu près à l'emplacement d'une ancienne allée plantée du parc existant en 1742, qui séparait le secteur ouest, château et ses cours et jardins, du secteur Est, vergers, parc non boisé. À l'entrée du nouveau périmètre clos, au nord, dans l'axe de cette avenue, fut créée une grille d'entrée, encadrée de sauts-de-loup dont le plan en segment de cercle épousait le tracé circulaire du rond-point ou tourne-bride situé devant cette grille et terminant l'avenue extramuros. Le saut de loup est aujourd'hui très bien conservé, à la différence de la grille, remplacée, l'actuelle étant un modèle très simple du XIXe siècle,  et du rond-point, et de l'avenue, effacés du paysage. Le prolongement intra-muros de l'avenue nord-sud règne au centre d'une large esplanade formant une allée d'honneur imposante et longue, conforme à  la mode en usage depuis le règne de Louis XIV. En partie conservée, cette allée d'honneur est délimitée sur ses deux côtés, est et ouest, d'un mur de clôture animé d'un redan qui la sépare, côté ouest, de la partie du parc aménagée en jardins et vergers, et côté ouest, des jardins et de la petite basse cour directement liés au château. Ces murs de clôture latéraux sont mal exprimés sur le plan d'intendance, mais ils y figurent, et datent donc bien des années 1780. L'allée d'honneur, ainsi placée dans l'axe du parc clos et des jardins, avait l'inconvénient de ne pas l'être dans l'axe du château, selon l'organisation la plus classique (visible par exemple au château de Courances, ou plus près, à celui de  Noyen-sur-Seine). Il en résulte une disposition de compromis curieuse et asymétrique par laquelle la partie "corps de logis" du château, abritant les appartements résidentiels, terminé par une sorte de pavillon étroit contenant un escalier, fait saillie sur le côté droit de l'allée d'honneur, et doit être contournée pour accéder à la cour ouverte, qui, devant la façade sud du château, fait face au parc boisé. Le toit de l'extrémité est du château formant pavillon était surmonté d'une sorte de clocheton en charpente visible sur les photographies du début du XXe siècle, indiquant la présence d'une cloche, peut-être d'une horloge, et sans doute d'un oratoire intégré à l'étage de ce pavillon, qui avait dû remplacer, après 1785, la chapelle domestique détruite. Le changement  d'emplacement  de l'avenue d'accès réalisé par les Turpin de Crissé, qui leur permit de créer grille d'honneur et allée d'honneur,  a donc inversé le côté de l'entrée  de la cour du château, passant par l'est et non plus par l'ouest. Il  a surtout eu pour conséquence de  rendre l'accès général du domaine, château et parc, indépendant du village, en consommant la séparation de l'un et de l'autre, matérialisée par le long mur de clôture continu nord-sud, aveugle et à peine percé d'une petite porte de service permettant des sorties piétonnes du personnel domestique. A l'ouest de la nouvelle grille d'entrée avec saut-de-loup, un bâtiment adossé à la nouvelle clôture, non porté sur le plan d'Intendance mais mentionné dans un inventaire après décès de 1785 (sur lequel on va revenir), était  affecté au logement du jardinier ; il est bien conservé aujourd'hui, avec sa cave et ses baies encadrées en briques analogues à celles de la partie "aile" du château. La perspective nord-sud de la  nouvelle grande avenue et allée d'honneur  se continuait dans l'aire intérieure du parc, y compris, dans la partie boisée entre Seine et Vieille Seine, éclaircie dans cet axe par une large coupe. On note la présence,  sur le plan d'Intendance, au sud-est de la cour ouverte du château, et en bordure est de cette grande perspective,  d'un colombier circulaire et d'un bâtiment rectangulaire, probablement une grange, qui n'existaient pas dans l'ancien état du château, donné par le plan de 1742.


Le pont assurant la traversée de la Vieille Seine vers le parc boisé resta en place, bien qu'il ne fût plus désormais situé dans l'axe de l'avenue d'accès, et parût de ce fait excentré. A l'époque de la mode des jardins "irréguliers" à l'Anglaise, les Turpin de Crissé ne jugèrent pas utile de déplacer ce petit pont pittoresque pour créer une traversée de la rivière dans l'axe de la nouvelle avenue et allée d'honneur.  


On notera, au demeurant, une sorte de paradoxe dans le programme mis en oeuvre vers 1775-1785 : À la manière "classique" appartenait encore le principe de la grande avenue, de l'allée d'honneur centrée, mais sans point focal architectural, qui semble étrangement en contradiction avec le fait de réduire le château proprement dit à l'échelle d'une maison de campagne noble mais sans recherche de symétrie ou de monumentalité, sans cour d'honneur, et avec le parti de ne pas rétablir des jardins géométriquement ordonnancés.  


L'apport des archives à la connaissance du château au temps des Turpin de Crissé


A la mort de Constance de Lowendal, son  inventaire après décès, aujourd'hui conservé aux Minutier Central des notaires aux Archives Nationales, fut établi par le notaire Claude Nicolas Ballet. Commençant par le mobilier de l'hôtel parisien des époux, rue du Sépulcre,  il se transporta au château d'Égligny le 22 octobre 1785, pour dresser l'inventaire et description des meubles et effets dépendant de la succession de ladite dame Comtesse de Turpin et de la communauté de biens qui a été entre elle et le dit Sr son mary trouvés et étant audit château d’Égligny (23).


Cet inventaire comporte  quelques  allusions aux démolitions, aux parties disparues du château et aux matériaux provenant de ces démolitions encore entreposés dans les bâtiments annexes, la grange notamment, attestant d'une partie des gros travaux récents réalisés dans les années précédentes, qui avaient supprimé  l'aile qui abritait la cuisine et probablement la chapelle domestique. L'inventaire évoque  un terrain vague où était anciennement la cuisine du château, ce qui prouve que la cour ouverte n'avait pas alors un aspect très fini (qu'elle semble d'ailleurs n'avoir jamais eu par la suite). La distribution de l'aile nord conservée et refondue, soit à peu près le château actuel, est difficile à reconstituer d'après les termes de l'inventaire, celui-ci ayant été conduit, comme souvent, sans logique topographique, faisant plusieurs aller-retour du logis à la cour et aux bâtiments de servitudes,  certains espaces de service étant difficiles à localiser.  De plus, la mention de pièces ayant vue sur le parc n'aide pas vraiment, ce terme pouvant désigner les parties non boisées du parc situées à l'est, comme celles situées au sud. Sans gros risques d'erreur, le château, d'après cet inventaire  comporte, au rez-de-chaussée (vers l'ouest),  une pièce servant de cuisine ayant vue sur le parc du château et sur la basse-cour, l’office ayant même vue, la chambre de la tourelle auprès de l'office et dans laquelle couche le cuisinier, deux chambres de domestiques ayant même vue ; une chambre ayant vue sur le parc où couchait ci-devant le cuisinier appelée la grande tourelle (?), la garde-manger, la cave, puis, dans la partie ouest (?) : la pièce servant de salon, un cabinet pratiqué  à côté et ensuite du salon et ayant vue sur la cour d’entrée, un petit cabinet pratiqué sous l’escalier à côté de la porte d’entrée du salon puis, à l'étage de la même partie est, plus haute, du logis, un petit cabinet servant de garde-robe pratiqué à côté de l’escalier au premier, la Chambre à coucher de M. le Comte et ayant vue sur l’entrée dudit Château et sur le parc d’Iceluy, une chambre ayant vue sur ledit parc et donnant dans un corridor à côté du (...?), le corridor, en face, une autre Chambre en retour du corridor ayant vue sur le parc , le cabinet de M. le Comte de Turpin ayant vue sur la cour du château, et, au second étage, sous combles, un grenier au-dessus de la chambre à coucher de M. le Comte de Turpin servant de garde-meubles. Les bâtiments de servitudes extérieurs au logis, disparus dès le début du XIXe siècle, comportaient la grange, un vieux poulailler, l’écurie étant… ( en face ?) de la grange,  une pièce parfois appelée la menuiserie étant en retour de l’écurie et en face ledit parc,  le grenier au-dessus de la menuiserie, le colombier et la cour devant le château, le logement du jardinier à droite de la grille d’entrée dudit château. La chapelle du château, citée dans des actes joints à l'inventaire, n'est pas mentionnée dans celui-ci, ce qui permet de conclure qu'elle n'existe plus, et qu'elle faisait partie des bâtiments démolis,  mais on reconnait son mobilier, entassé dans la tourelle auprès de l'office.  


L'inventaire après décès de 1785, donne en outre une liste de "papiers", soit des expéditions d'actes notariés concernant les transaction et procédures des Turpin relatives à leurs biens fonciers. Ce document fait état, par des actes de 1770 passés devant Mercier, notaire royal à Donnemarie, d'une dépendance féodale de la terre et seigneurie d'Égligny et de La Borde St Florentin à l'égard de  la seigneurie des Bordes de Coupigny, près de Bray-sur-Seine. Il est aussi fait mention, en 1768, d'un "plan figuré des seigneuries d'Égligny, Gravon, La Motte St-Florentin et de la Fosse aux veaux" (non conservé).  Mention est faite  également, en 1781, et dans des actes jusqu'en 1785, de "réparations de propriété" d'un montant de 6000 livres engageant le comte Turpin et le sieur Lelièvre, concernant,  non pas Égligny, mais le château de Fromont (à Ris-Orangis, en bordure de Seine), propriété de Turpin de Crissé (pour promesse de vente à Lelièvre ?), travaux ayant consisté à en faire abattre les deux ailes et à faire réparer le principal corps de logis, ce qui s'apparente aux changements faits à Égligny. Les archives, pour l'année 1785, comportent également un cahier de gestion domaniale, avec comptes de recettes et dépenses. Au chapitre des recettes, on note la vente du bois des Razées, à Égligny, soit 20 arpents 12 perches de bois sur pied, pour 1755 livres. Le compte des dettes  fait apparaître, dans la catégorie du solde de prestations effectuées, des ouvrages de serrurerie pour 530 livres en 1785, 134 livres de fourniture de clous en 1783-1784, 146 livres de fourniture de bois de charpentes en 1778, à Garnier, marchand de bois à Cucharmoy. A Destrat maçon à Montigny, pour ouvrages faits à Égligny et Mazelle, solde de 285 livres pour 1783, 456 livres pour 1784, 183 livres pour 1765. Aux maçons Limozins de Vimpelle, pour ouvrages faits au château d'Égligny aux mois de septembre et octobre 1785, 96 livres. A Cendrier, vitrier à Donnemarie, 53 livres, pour ouvrages faits avant le 1er octobre 1785.  
 

A la Révolution, émigration et vente  du domaine

 
Lancelot-Henri-Benoit-Joseph comte Turpin de Crissé ( 1764 - ?), 2e enfant du second mariage de Lancelot (III) Turpin, marquis de Crissé, avec Constance de Lowendal,  était en principe destiné à devenir l'héritier d'Égligny, mais cette logique fut contrariée par la Révolution. Son père, honoré en fin de carrière militaire, en 1787, par la grand croix de l'ordre de Saint Louis, jugea nécessaire d'émigrer, en novembre 1790, d'abord à Turin, d'où il passa à Nyon en Suisse, et, de là à Heidelberg en aout 1791, où il avait mission de rassembler les émigrés français, pour former une armée  contre-révolutionnaire. Il  contribua à constituer et intégra en 1792, dans la cavalerie, l'armée des émigrés dite de Condé, créé à Worms, sur le Rhin, commandée par Louis V Joseph de Bourbon-Condé, prince du sang. Le prince Anton Esterházy, capitaine de la garde hongroise cantonnée sur le Rhin lors de la guerre de la première coalition, accueillit Turpin de Crissé à Vienne,  en Autriche, où il mourut  le 9 août 1793. Le domaine d'Égligny, considéré inéluctablement comme bien d'émigré dès 1790, avait été publié par son propriétaire dans le Tableau des biens particuliers et journal des domaines Nationaux qui sont à vendre, de juillet 1791, dans la catégorie des "objets au-dessus de 100.000 livres", l'annonce étant ainsi formulée : Terres d'Égligny, Motte-Saint-Florentin-sur-Seine, de Gravon et de Roselle, près Provins, ayant château, parc, ferme, terres et dépendances (à l'amiable), produit du bien 14490 l., prix de vente en évaluation: 500.000l L'acquéreur qui se présenta, et avec qui la vente fut conclue, le 31 décembre 1791, devant M° Pierre Duchesne, notaire à Paris, était Catherine Marguerite de Villiers (1751-apr 1813), dame de La Noue en Champagne, veuve de Augustin Louis Lambert Deschamps de Morel, chevalier, seigneur du Clos le Roy, demeurant à Paris rue des Tournelles, hôtel de Melun, paroisse St-Paul. Ne pouvant revenir en France du fait de ses engagements contre-révolutionnaires à Heidelberg, le vendeur s'était fait représenter, précise l'acte,  par Mme Emilie-Sophie de Montullé, épouse de M. Lancelot Rolland Turpin de Crissé demeurant à Paris rue du Cherche-midi, paroisse St Sulpice,  agissant au nom et comme procuratrice de M.  Lancelot Turpin de Crissé son beau-père, lieutenant général des armées du roy, grand croix de St Louis, fondée de sa procuration spécialle à l'effet de présenter passée devant M° Wachler, notaire impérial public et juré en la ville de Heidelberg, en présence de témoins, le 4 octobre dernier, dont l'original enregistré à Paris le 14 novembre suivant a été déposé pour minute à M° Duchesne notaire (24).  Emilie Sophie de Montullé (1756-1816) demeurait à Paris rue du Cherche Midi, paroisse St Sulpice avec son époux  Lancelot Roland Turpin de Crissé (1754-1801). Artistes peintres l'un comme l'autre, ils avaient acheté en 1790 une propriété à Seine-Port, qu'ils revendirent en 1793 pour financer leur émigration en Angleterre. De là Lancelot Roland partit à Saint-Domingue, alors colonie française où il serait mort en l'an Neuf (1801). Son inventaire après décès ne fut cependant  fait que le 24 frimaire an 13 (15 déc 1804).


L'acte de vente d'Égligny  en 1791 ne donne qu'une description sommaire du bien, quoique plus précise que celle de l'annonce : Art. 1er : Domaine d'Égligny La terre d'Égligny et La Motte-St-Florentin y réunie, consiste 1°) dans le château d'Égligny en face duquel est une grille de fer avec des sauts de loup, composé de plusieurs appartements de maître, cour, avant-cour, écuries, colombier, jardin, verger, potager, logement du jardinier et autre dépendances ; le tout contenant neuf arpents ou environ est fermé au midy par la rivière et des autres côtés par des murs de clôture ; avec un parc au midy et de l'autre côté de la vieille rivière de Seine contenant trente six arpents dont vingt quatre en bois et douze en pres.ferme de la Borde St Florentin : maison, grange étable, écurie, bergerie vacherie et autres bâtiments, 334 arpents de terres labourables, 69 arpents 87 perches de prés, un arpent 50 perches ci devant de vigne, loués à différents particuliers... On note un article final par lequel, Mme de Turpin, audit nom, délaisse et abandonne à Madame Lambert tous les bois de charpente et de menuiserie, les bois à bruler, les pierres, thuiles, tuyaux, carreaux et autres matériaux, les ustensiles de jardinage, les bois provenant des coupes et tous les autres objets mobiliers qui sont dans le château, les grange et autres bâtiments...
 

Le baron d'Empire Dupont-Delporte acheteur du domaine
 
Le 24 octobre 1810, le domaine d'Égligny faisait l'objet d'une nouvelle estimation qui donna lieu à un procès-verbal déposé au greffe du tribunal de première instance du département de la Seine le 18 décembre suivant, sans doute en vue d'une mise en vente par sa propriétaire depuis 19 ans, Mme veuve Lambert. La vente eut effectivement lieu le 4 février 1812, devant Louis Auguste Marchous et son collègue, notaires impériaux à Paris, moyennant 170.000 francs. Les acquéreurs étaient Henri Jean-Pierre Antoine Dupont-Delporte (1783-1854), baron de l'Empire, chevalier de la Légion d'Honneur, auditeur de 1ere classe au Conseil d'État, ancien préfet de l'Ariège, depuis 1810 préfet du département du Taro, et son épouse Jeanne Bernarde Sirugue (1785-1877), les époux résidant au palais de la préfecture du Taro à Parme, chef lieu de ce département éphémère constitué en 1808 par l'annexion du duché de Parme en Italie, à l'Empire Français, et restitué en 1814. Les époux Dupont-Delporte n'avaient pas fait le déplacement à Paris, et s'étaient fait représenter à la vente par leur procureur général et spécial, un cousin maternel du baron, Claude Delporte de Comteval, résident à Paris rue Vivienne. La désignation du bien dans l'acte de vente indique, sans grande précision, qu'il se compose d'un château, situé sur la commune d'Égligny, département de Seine et Marne, cour, avant-cour, jardin et parc, de la ferme de La Borde, terres labourables, prés et bois, le tout avec les circonstances et dépendances, ensemble toutes les rentes, redevances et prestations quelconques attachées au domaine, y compris en outre tous les objets mobiliers garnissant le château et qui, par leur nature, sont censés faire partie de l'immeuble. La Borde, et d'autre terres, sont baillées à ferme, mais Mme Veuve Lambert déclare que le château, les jardins et le parc ne sont point loués.  L'intérêt des acquéreur pour le domaine d'Égligny est lié au fait que l'oncle maternel de Jeanne Sirugue, Hugues-Bernard Maret (1763-1839), secrétaire particulier et ministre secrétaire d'État de Napoléon, 1er duc de Bassano et de l'Empire en 1809, avait racheté un peu plus tôt une partie du domaine et des bâtiments de l'ancienne abbaye de Preuilly, vendus en lots comme Bien National en 1791.
 
Dans ses mémoires, Alexandre Dumas (père) relate avec sa verve coutumière un étape nocturne qu'il fit, en 1831, au château d'Egligny, lors d'une excursion cynégétique à Montereau en compagnie de quelques amis bohèmes, dont Louis Viardot, écrivain, critique d'art et traducteur, et Louis Boulanger, peintre illustrateur. Munis d'une lettre d'un autre ami de leur âge, le fils Dupont-Delporte, qui les recommandait à l'hospitalité de son père, les cinq jeunes hommes durent forcer la grille nuitament pour trouver refuge dans le château désert, les Dupont-Delporte et leur train de maison étant partis s'installer en Seine-Maritime, nouvelle affectation préfectorale du baron d'Empire. Bien que très profus sur les circonstances, Dumas ne décrit pas réellement le château et son parc, il est vrai explorés dans l'obscurité, mais plutôt les péripéties de l'installation des cinq compères et de leur recherche de vivres, en sorte que son récit est à peu près dépourvu de vertus documentaires.
 

État et aménagements du château et de ses abords à l'époque Dupont-Delporte
 
Le descriptif sommaire de la vente de  1812, minimaliste, ne mentionne pas les bâtiments annexes et détachés du château : grange, écurie, menuiserie, colombier, logement du jardinier, dont une partie avait été détruite ou modifiée avant  l'établissement du plan cadastral dit "napoléonien" de la commune, non daté mais probablement dessiné vers 1825
(25). Sur ce plan-masse, l'emprise château proprement dit ne diffère pas de celle donnée par le plan d'intendance vers 1787. S'y ajoute cependant, au nord, une petite cour plus formellement close de murs, correspondant à la basse cour attenante au château mentionnée en 1785 (le terme arrière-cour ou cour de service serait plus adapté). Toujours en place aujourd'hui, cette petite cour règne devant la façade postérieure de la partie "aile" du château soit la partie affectée aux  espaces servants et à la domesticité. Au mur ouest de cette petite cour s'adosse un bâtiment étroit, bien exprimé sur la plan cadastral aujourd'hui, en ruines, anciennement couvert en appentis, sans doute à l'usage de poulailler, clapiers, etc, et au centre s'ouvre un puits dont la margelle était couverte, vers la fin du XIXe siècle d'un édicule en bois à toit en pavillon. Le colombier et le bâtiment à deux corps (grange et écurie ?) qui étaient figurés isolés au sud-ouest de la cour du château sur le plan d'Intendance, n'existent plus sur le plan cadastral. Le logement du jardinier, adossé à l'enceinte nord, à l'ouest de la grille et du saut-de-loup, déjà en place en 1785, figure sur le cadastre rallongé vers l'ouest ; dans l'état actuel, ce prolongement se différencie de la partie d'origine : il est plus bas et ses baies ne sont pas encadrées en brique. Cette maison du jardinier est désormais incluse dans une basse-cour close, de plan en trapèze, prise sur l'aire des jardins qui règnent désormais entre le mur sud de cette basse-cour et la petite cour nord du château. Un bâtiment adossé au mur d'enceinte ouest, donnant aussi sur la basse-cour, absent du plan d'Intendance, donc postérieur à la Révolution, voire à 1812, est identifiable, d'après son état actuel bien conservé et un peu remanié, à une écurie-charretterie, surmontée d'un grenier. Le château proprement dit n'a subi, après l'établissement de ce plan cadastral, qu'une seule transformation importante, qu'il est difficile de dater mais que l'on doit attribuer à la famille Dupont-Delporte, dans le second tiers du XIXe siècle : il s'agit de la construction du pavillon ouest, qui fait plus ou moins pendant à celui de l'est, encore que plus large, et couvert d'un toit "à la Mansard" à brisis et terrasson. Ce pavillon, dont les fenêtres copient celles du corps de logis, s'est greffé sur la tourelle d'angle nord-ouest du château. Relique du plus ancien état dont restent des traces, début XVIIe siècle, cette tourelle, désormais incluse dans l'angle rentrant du pavillon et de la façade nord du château, avait été réaménagée en cage d'escalier au XIXe siècle, en réservant une cave dans soubassement, jadis au niveau de l'ancien fossé. Le rez de chaussée du nouveau pavillon ouest est occupé en partie par un garage donnant sur la petite cour de service. Sur la façade nord du château, à la jonction de la partie aile donnant sur la petite cour et de la partie corps de logis, avait été greffée, contre la dernière travée de l'aile, une tourelle polygonale apparemment à ossature bois ou métal et parements de briques (d'après une photo de 1900 environ), couverte d'un toit en poivrière, construction caractéristique de la seconde moitié du XIXe siècle, qui faisait pendant à la tourelle ancienne.
 

Derniers propriétaires...
 
A la mort de Jeanne Bernarde Sirugue, veuve Dupont-Delporte, à l'âge de 92 ans, le domaine d'Égligny fut mis en vente sur licitation, à l'étude de M° Goujon, avoué à Paris. La vente, annoncée dans le journal Le Temps, fut programmée aux criées de la Seine, le samedi 28 juillet 1877, puis  au  10 novembre 1877
(26). La première criée avait du être infructueuse, car on constate que, dans l'intervalle, la mise a prix annoncée était descendue de 400.000f à 300.000 fr et la vente était passée sur baisse de mise. Le domaine comprenant château, parc, pelouses, bois de haute futaie et taillis, prés, terres, etc était d'une contenance totale de 253 hect 69 ares, 50 ct, le revenu de la ferme de 14600 fr, celui des jardins, prairies et bois réservés évalué à 3700 fr. L'interlocuteur local était le fermier Macquin.


L'adjudicataire était Auguste Marotte (1835-1901) négociant international en grains établi au 16 quai d'Austerlitz à Paris, qui  fut par la suite vice président de la chambre de commerce des grains et président de la société de secours mutuel du XIIIe arrondissement de Paris. Sa veuve vécut jusqu'en 1920,  trois  de leur quatre filles avaient épousé des juristes, avocat, avoué, notaire ; l'une, Blanche Marotte, mariée à Emile Bourdel, notaire à Paris, rue de Vaugirard, 1er syndic de la chambre des notaires de Paris, actif de 1892 à 1920, mourut subitement au château d'Égligny le 22 octobre 1925 (27).

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Egligny-carte_postale_château.jpg

Le château se  retrouva de nouveau dans une indivision successorale. Aucun travaux d’entretien n’y fut assuré. Le château fut occupé par les allemands qui en ont été les derniers occupants en 1943/1944.

Faute d’entretien, les bâtiments  se sont progressivement délabrés et l'intérieur a été pillé.

 

En 2016, des descendants d’Emile et Blanche Bourdel rachetèrent le château à l’indivision et entreprirent  sa restauration.

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Notes

1 : François Antoine Delettre, Histoire de la province du Montois, comprise dans les cantons de Bray, Donnemarie, Provins et Nangis,. Donnemarie, 1850, 2 t.

2 :  Certains sûrement médiévaux, comme la Motte de Chalautre

3 :  Elle a été reprise et résumée, non sans raccourcis contestables, dans : Maurice Pignard Péguet, Histoire générale illustrée des départements.... , Seine-et-Marne : histoire des communes, guerres, seigneuries, anciens monuments, églises, châteaux, Orléans, 1911, p. 703-704: Depuis, aucune étude historique n'a été consacrée à Egligny.
4 :  Eugène Grésy, Notice sur l'abbaye de Preuilly, Paris, 1857, p. 13-14.

5 :  Arch Nat. .5162, cartulaire des templiers de Provins, p. 22, 44. A l'époque des Hospitaliers, dans le second tiers du XVe siècle, Maulny devint le chef lieu de la commanderie antérieurement localisée à Provins.

6 :  François Antoine Delettre, Histoire de la province du Montois, 1850, t. 1, p. 339

7 :  Chevalier de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, (...) t. V; Paris, 1825, (de Melun) p. 26-27, note 2
8 :  Louis Moréri, le Grand dictionnaire...t. X, Paris, 1759, p. 44-45;  Chevalier de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, (...) t. V; Paris, 1825, (de Melun) p. 26-   et PJ n° II, p. 65

9 : Chevalier de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, (...) t. V; Paris, 1825, (de Melun) p. 26-27, note 2

10 : Chevalier de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, (...) t. V; Paris, 1825, (de Melun) p. 30 et note 1

11 : D'après l'épitaphier manuscrit de paroisses de Paris du cabinet des titres de la BNF et de la BHVP; cité par Charles Sellier, rapport sur les fouilles de la rue Beautreillis, n° 17 (partie de l'ancien cimetière Saint-Paul), Procès verbaux de la commission municipale du Vieux Paris, t. 7, 23 oct 1902, p. 220-221.

12 : Quittance de Jean Gaudète, trésoruier des guerres, le 30 septembre 1471, pour les gages de François de Lesparre, premier pannetier du duc de Guyenne (BNF, ms fr 28179, pièces orig 1695).

13 : Arch. NAt. MC/ET/XIX/5; Isabelle Pebay, Minutier central des notaires de Paris : minutes du XVE s de l'étude XIX, inventaire analytique, Paris, 1993, p. 121, n° 933.

14 : Arch. NAt. MC/ET/XIX/ 1 à 11;

15 : Arch. NAt. MC/ET/XIX/12

16 : Arch. NAt. MC/ET/XIX/14

17 : Arch. NAt. MC/ET/XIX/14, n° 4868, 4870

18 : François Antoine Delettre, Histoire de la province du Montois, 1850,  t. I, p. 43, p. 364. Les autres seigneurs concernés étaient ceux de Sigy, Paroy, Gurcy-Chalautre.

19 : Félix Bouquelot, ed. Mémoires de Claude Haton, contenant le récit des évênements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et dans la Brie,  Paris 1857 ; t. II ( Collection de documents inédits sur l'histoire de France), p. 1030-1031

20 : Comte de Waroquier de Combles,, tableau généalogique, historique  de la noblesse, 1ere partie, Paris, 1786,  art. Méliand, p. 207-211; La Chesnaye-Desbois et Badier, Dictionnaire de la noblesse, 3e ed. t. XIII, Paris, 1868, p. 594-595: Michel Popoff, Prosopographie des gens du Parlement de Paris (1266-1753): d'après les ms Fr. 7553, 7554, 7555, 7555 bis conservés au Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Paris, 1996, p. 716

21 : (L. Sandret, dir)  Revue héraldique, historique et nobiliaire, nouvelle série, t. 9,  Paris, 1873,, p. 306, 304; François Antoine Delettre, Histoire de la province du Montois, 1850,  t. I, p. 276: D'après Michel Popoff,( Prosopographie des gens du Parlement de Paris (1266-1753): d'après les ms Fr. 7553, 7554, 7555, 7555 bis conservés au Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Paris, 1996, p. 717) ,  Marguerite Méliand, dame d'Egligny, aurait été mariée en réalité non avec Claude Cherrière, , mais avec son fils Jacques Cherrière, seigneur de Gravon. Cette hypothèse est contredite par l'historique de l'acte de vente d'Egligny en 1791 conservé au Minutier Central des Notaires aux Archives Nationales)

22 : Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Provins, t. I, 1892, p. 201

23 : Arch. Nat, MC/ET/LXV/477

24 : Arch  Nat  MC/ET/LXXXIX/885

25 : Celui de Châtenay-sur-Seine date de 1823

26 :  Le Temps, notamment éditions du 4 juillet et du 18 octobre 1877.

27 :  Le Temps, édition du 22 octobre 192

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